La Fraternité Diocésaine des Parvis s’inscrit dans la spiritualité de Madeleine Delbrêl et de la Constitution « Gaudium et spes » du Concile Vatican II.

1. Madeleine Delbrêl

Madeleine est née en 1904 en Dordogne. Elle est fille unique. Ses parents forment un couple mal accordé. Son père travaille aux chemins de fer et la famille déménage beaucoup. Madeleine ne va donc pas à l’école, elle suit des cours particuliers. Son père aime la littérature et Madeleine fréquentera avec lui des cercles de poésie. Elle a un certain talent pour l’écriture.

Elle dira plus tard : « J’ai vécu, et cela fut une chance, hors des cloisonnements sociaux. Ma famille était faite de tout ; par voie de conséquence, moi aussi. Dans cette situation anarchique, dès mon arrivée à Paris, vers 13 ans, l’Intelligence avec un grand I eut la première place dans mon échelle de valeurs. Dans une famille incroyante, au hasard des déplacements d’un père cheminot, j’avais trouvé des gens exceptionnels qui me donnèrent de 7 à 12 ans l’enseignement de la foi. À Paris, d’autres gens exceptionnels me donnèrent une formation contradictoire. À 15 ans, j’étais strictement athée et je trouvais chaque jour le monde plus absurde. »

Il faut dire qu’on sort de la guerre ‐ on est en 1919 ‐ et Madeleine est marquée par les souffrances, les décès.

A 17 ans, elle écrit : « Seule la mort tient bon. Dieu est mort, vive la mort ! ». Alors elle vit au présent, étudie la littérature et la philosophie à la Sorbonne, aime danser, profiter de la vie. Elle est pratiquement fiancée quand le jeune homme lui annonce qu’il la quitte pour entrer chez les Dominicains. Le choc est terrible.

A cette époque, Madeleine est marquée par la rencontre de chrétiens : elle dira qu’à cause d’eux, elle ne pouvait plus laisser Dieu dans l’absurde. Elle lit beaucoup, fait une recherche religieuse avec sa raison et, un jour vit une « conversion violente ». Elle n’en dira pas grand‐chose mais avouera demeurer une convertie, une éblouie de Dieu.

Elle a 20 ans. Madeleine est touchée par la lecture des écrits de Thérèse d’Avila, de Jean de la Croix. Elle pense entrer au Carmel, mais y renonce à cause de la vie si difficile de ses parents : son père devient aveugle et son caractère impossible s’accentue. Ses parents vont se séparer.

Madeleine s’engage dans le scoutisme et se retrouve régulièrement avec un groupe de cheftaines autour de l’Evangile. L’abbé Lorenzo, leur aumônier, les marque par sa façon de recevoir la Parole de Dieu : pour lui la Parole de Dieu est vivante, aujourd’hui, pour nous tels que nous sommes. « Il m’a enracinée, dira‐t‐elle, dans la terre d’un évangile simple. » À 25 ans, elle découvre que Jésus, c’est quelqu’un.

L’abbé Lorenzo suggère à plusieurs cheftaines un essai de vie commune en milieu défavorisé. Madeleine fait des études d’assistante sociale « à tout hasard » comme elle dit mais le plus important pour elle est de « suivre le Christ dans une disponibilité sans conditions à l’Evangile, en plein monde », « vivre coude à coude avec les gens la Bonne Nouvelle ».

En Octobre 33, elle a 29 ans, elle part avec deux coéquipières vivre à Ivry‐sur‐Seine, la ville rouge, le fief communiste. A ce moment‐là, la coexistence des chrétiens et des communistes est difficile. Les 3 femmes cherchent à vivre en « simples voisines ». Madeleine est amenée à travailler dans les services sociaux de la mairie et des liens forts se tissent avec des communistes. Au contact de l’athéisme, elle approfondit ce qui fait l’essentiel de la foi chrétienne.

Leur maison est ouverte à tous. Des gens très divers s’y croisent. Madeleine est aussi très ouverte à la vie du monde entier, s’engageant pour défendre des injustices, accueillant des sans‐papiers, etc.… Elle cherche à aimer l’Eglise quoiqu’il en coûte parfois, surtout à cette époque d’avant le concile Vatican II. Ce qui la nourrit, la porte, la pousse en avant, c’est toujours le désir d’être une présence du Christ, une fidèle à l’Evangile.

Son équipe d’Ivry a vu arriver de nouvelles compagnes, certaines rejoindront des villes minières de l’Est, d’autres Amiens et Abidjan. Un peu à la fois, Madeleine est amenée à parler à des groupes divers de ce que son équipe essaie de vivre. Grâce à ces textes, à sa correspondance, à ce qu’elle écrit aussi pour ses compagnes, nous pouvons aujourd’hui bénéficier de ce qui animait sa vie.

Madeleine meurt subitement, à 60 ans, le 13 octobre 1964.


2. Les accents de sa spiritualité

Dans plusieurs textes, elle met des mots sur ce qu’elle essaie de vivre avec ses compagnes :

Madeleine a fait l’expérience que Dieu se laisse rencontrer. Elle en est éblouie.

  • « La foi n’est pas un privilège dû à l’hérédité ou à notre bonne conduite, elle est la grâce de savoir que Dieu fait grâce »

Pour elle, la foi s’expérimente dans l’ordinaire des jours.

  • « Dieu est sur le chemin et non au terme. Laissez vous trouver par lui dans la pauvreté d’une vie banale »
  • « Etre des gens comme les autres, des gens enfoncés aussi loin que possible dans l’épaisseur du monde, séparés de ce monde par aucune règle, aucun vœu, aucun habit, aucun couvent, pareils à des gens de partout…/… Des gens faits pour tout et pour tous. »
  • « Etre posés à un carrefour de vie, prêts à aimer qui passe et à travers lui tout ce qui, dans le monde, est souffrant, perdu ou enténébré »

Avec ses compagnes, elle cherche à mettre l’évangile au cœur de sa vie.

  • « Nous réunir autour de l’évangile, non pour une étude, mais pour un recours. C’est une démarche de lumière, une mise à l’écoute autour de la personne de Jésus, de ce qu’il a dit, de ce qu’il a fait. C’est notre vie mise à son contact, telle quelle, pour qu’il continue à la faire ce qu’elle doit être ».
  • « Etre un petit coin d’humanité où la Parole de Dieu peut se faire chair pour continuer les gestes et la vie du Christ… ».
  • « Toute vie qui naît de la Parole de Dieu, parole toujours créatrice, est croissante, dynamique, évolutive, mouvementée, féconde. Vie toujours « contemporaine », greffée sur la vitesse du temps. »

L’écoute de la Parole la conduit à vivre simplement et à élargir l’espace de sa tente :

  • « Nous voulons vivre comme Jésus Christ a dit de vivre, faire ce que Jésus Christ a dit de faire, et le vivre et le faire dans notre temps… Prendre pour cela la simple route de l’Évangile, obéir à ses exemples et à ses leçons, tels que l’Évangile nous le propose, avec les forces que l’Église nous donne. »
  • « Etre pauvre en même temps que lui, être pur parce qu’il est pur, être obéissant pour partager son obéissance. Ne rien posséder seul, et posséder en commun le moins de choses possible, pour devenir le Christ pauvre. » « Il y a une grâce de l’hospitalité. Nous voudrions retrouver sa fraîcheur, telle que la connurent et la vécurent les premières communautés chrétiennes. L’hospitalité, c’est que les autres soient chez eux chez nous …/… L’hôte n’est pas traité selon la justice, mais selon l’amour. Il ne peut pas être jugé, mais estimé dans la miséricorde. »

La prière de Madeleine Delbrêl se situe au point de croisement de la Parole de Dieu et de la vie des hommes et des femmes qu’elle rencontre :

  • « Vie de prière évangélique, à l’image de celle de Jésus. Vie de plein air. Fouettée aux quatre vents du monde. Aimantée par le mystère de Dieu, captée par lui …/… Prière qui envahit toutes les heures et les imbibe, qui surgit de chaque rencontre comme le feu du bois. Provoquée par le monde et non empêchée par lui. Elle l’irrigue de grâce, elle le tourne comme malgré lui vers Dieu, elle le polarise à son insu sur sa destinée réelle : elle le convertit. »

Seule la foi vécue en communauté peut rendre témoignage au Christ.

  • « Le seul témoignage que Jésus exige c’est que nous nous aimions entre nous et que notre vie contienne des actes qui supposent quelqu’un invisible mais vivant, intouchable mais agissant. ».
  • « On n’est jamais appelé tout seul. On est appelé par son nom, mais en répondant « oui » et en disant « je viens », on va toujours en retrouver d’autres. Nous sommes des gens appelés ensemble, chacun répond au Seigneur personnellement et cette réponse personnelle lui fait rejoindre d’autres réponses identiques. » .
  • « La vie en fraternité doit nous aider à devenir de petites gens. Cela s’apprend à la base, dans la fraternité. Quel que soit notre don à Dieu, il ne sera jamais qu’un don que Dieu nous a fait et que nous lui rendons. Dieu sera toujours « celui qui nous a aimés le premier » ; l’aimer sera toujours recevoir d’abord son amour. Mais il est une chose que nous ne savons pas toujours, c’est que pour apprendre à recevoir les biens de Dieu, il faut apprendre à recevoir des hommes. »
  • « La communion, la communauté sont une sorte de sacrement, une allumette dont on peut difficilement se passer pour allumer le feu avec ceux qui nous entourent ».
  • « Le témoignage d’un seul, qu’il le veuille ou non, porte sa propre signature. Le témoignage d’une communauté porte, si elle est fidèle, la signature du Christ. »

Pour Madeleine, la communauté n’est pas une fin en soi, mais un moyen.

  • « Nous ne nous réunissons pas à cause d’une parenté de chair ou de sang, ni autour d’une profession commune, ni à cause d’une même origine sociale, ni pour le bien d’une classe ou d’une race, ni au nom d’une amitié préalable, ni dans les limites d’un âge. …/… Nous ne pouvons compter comme base et comme nerf de notre vie en commun que sur la charité fraternelle. »

Au beau milieu du XX° siècle, Madeleine et ses compagnes ouvrent un chemin de « sainteté ordinaire »…